Sunday, June 22 2025
Planche XXXVII, in "L'art de la soie", Diderot et D'Alembert (1751-1780).
Planche XXXVII, in “L’art de la soie”, Diderot et D’Alembert (1751-1780).

After a first interpretation of “Soie” as a narrative of the prosaic, published a few weeks before, here is a second opinion of Alessandro Baricco’s novel about the lugubrious game of the sensitive and the motionless character to the work.


« Hervé Joncour avait trente-deux ans.

Il achetait, et il vendait.

Des vers à soie. »

Soie, Paris, Gallimard, Folio, 2001, p.9.

 

Une écriture sans style, une histoire sans fiction, ou plus simplement, un effet. Soie, d’Alessandro Baricco, ne repose que sur l’efficace du sensible. Ici l’écriture ne dépasse jamais des horizons déjà fixés. Dans les pas d’Hervé Joncour, négociant de vers à soie, de Lavilledieu, modeste bourgade française, aux confins des terres d’Orient, près de la ville de Shirakawa au Japon, dans les années 1860, Soie donne à lire des non-évènements, des esquisses de sentiments et des séquences d’images dans lesquels Hervé Joncour poursuit une non-existence[i] qui ne se révèle qu’à travers son arrivée au Japon, dans l’inconnu interdit de la « fin du monde » et, surtout, avec l’apparition inappropriée d’une femme. L’auteur développe ainsi l’histoire d’une double rencontre de l’autre qui produit du coup la mise en mouvement du protagoniste autant dans les actes que dans les pensées[ii].

Histoire banale. La subtilité du récit consiste en ce que cette autre n’est pas tout à fait autre : le Japon est « invisible » et la femme est « européenne » ; autrement dit, le rapport à l’autre prend ici la valeur d’un rapport aveugle et réduit à soi[iii]. Joncour est constamment renvoyé à lui-même, à sa femme, à son village, et l’autre constamment « invisible » à ses yeux. Aussi, de ce désir qui ne s’exprime pas, de ce langage qui ne se transmet pas, se décèle la mise en scène de la fragilité des apparences du propre récit[iv]. Toutefois, cette fragilité ne cesse d’être contrôlée ; toujours le voyage se répète, aucun mot ne faillit, aucun trouble ne s’échappe :

« Il passa la frontière près de Metz, traversa le Wurtemberg et la Bavière, pénétra en Autriche, atteignit par le train Vienne puis Budapest et poursuivit jusqu’à Kiev. Il parcourut à cheval deux mille kilomètres de steppe russe, franchit les monts Oural, entra en Sibérie, voyagea pendant quarante jours avant d’atteindre le lac Baïkal, que les gens de l’endroit appelaient : mer. Il redescendit le cours du fleuve Amour, longeant la frontière chinoise jusqu’à l’Océan, et quand il fut à l’Océan, resta onze jours dans le port de Sabirk en attendant qu’un navire de contrebandiers hollandais l’amène à Capo Teraya, sur la côte ouest du Japon. À pied, en empruntant des routes secondaires, il traversa les provinces d’Ishikawa, Toyama, Niigata, pénétra dans celle de Fukushima et arriva près de la ville de Shirakawa… » p. 31.

 Oui, « le lac Baïkal, que les gens de l’endroit appelaient : mer » … La recherche de l’effet devient tellement évidente que pour masquer l’effet il faut davantage d’effet comme les espaces blancs, l’économie des dialogues, les répétitions, etc. La lecture se transforme ainsi en une fuite vers un monde déterminé dont toutes les significations seraient déjà achevées. Et de la même façon que, le voyage de Joncour ne traverse rien, sa « souffrance étrange » est réduite à n’être qu’une chose immobile – prisonnière des moyens de sa production. Ainsi sous le caractère mystérieux du récit n’apparait en dernière instance que le masque d’une écriture dominée par ses objectifs.

Pour reprendre les mots de Paul Valéry : « la forme coûte cher. »

[i]  « C’était au reste un de ces hommes qui aiment assister à leur propre vie, considérant comme     déplacée de toute ambition de la vivre. » p.14.

[ii] Voir le dialogue avec Baldabiou, pp.92-93 ; ou encore p. 115-116.

[iii]  Moment significatif du thème de l’aveuglement : la lettre écrite en japonais … p.139.

[iv] Le travail formel du roman : usage du « il », du passé, référence à Flaubert, etc.

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