dimanche, juin 22 2025

Dans cet article, un parisien d’adoption, qui a décidé de rester anonyme, essaie de mettre un peu d’ordre dans la masse d’informations avec laquelle on a été submergés depuis les attentats de Paris du 13 novembre 2015. L’auteur, qui n’est pas un spécialiste du terrorisme ou du Moyen Orient, vise à proposer un « vadémécum » des causes et des solutions pour lui-même et pour ses lecteurs. Cela avec le but de pousser tout un chacun à l’engagement politique, quel qu’il soit, notamment dans des projets qui soutiennent l’intégration multiculturelle, du côté sociologique, et la démocratie directe, du côté plus explicitement politique.


Écrit par un Parisien

Le 13 novembre dernier, Paris a été attaqué encore une fois. L’angoisse a saisi les cœurs des Européens et surtout des parisiens. Cet article se veut comme un résumé et une aide-mémoire sur la problématique complexe du terrorisme, ainsi que surtout une invitation à s’engager. Je ne suis pas un expert de questions moyen-orientales ; je suis un citoyen européen, et un parisien adoptif : c’est pour cela que j’ai choisi le français pour écrire ce texte (des traductions en portugais, espagnol et italien viendront).

Comme beaucoup d’autres, après ces événements, j’ai été saisi par l’angoisse puis j’ai eu un désir de comprendre et d’agir. Je me pose deux objectifs. Tout d’abord, celui de proposer une synthèse de nombreux articles, entretiens, documentaires et émissions télévisées publiés depuis les attentats (un certain nombre est cité dans les notes en bas de page, qui sont plurilingues). La situation, surtout géopolitique, est tellement complexe que même les experts ont du mal à détecter les possibles alliés et les vrais ennemis. Mais il faut trouver tout de même quelques points de repère, ne serait-ce que pour s’orienter dans le débat. Chaque paragraphe aborde ainsi un thème, soumet une analyse et ensuite une possible solution. Ce sont des solutions, bien entendu, qu’aucun de nous, sauf les politiques, ne peut mettre en place. Les garder à l’esprit, lorsqu’on écoute le propos d’un décideur ou lorsqu’on lit un article d’information, peut nous aider au jugement.

Deuxièmement et principalement, ce texte se veut une invitation à l’engagement de chacun dans un projet politique qui travaille pour la paix, la justice et contre le changement climatique (trois choses fortement liées). Dans la conviction que ceci soit possible seulement dans le cadre d’une démocratie directe ou participative.

L’eurocentrisme des européens et des non-européens, qu’il soit imposé ou intériorisé, conscient ou inconscient, produit des effets bizarres. Les attaques du 13 novembre ont eu un retentissement global, de New York à Bangkok, en suscitant la solidarité de (presque) tout le monde. Si peu avant ou peu après le 13 novembre 2015, des terroristes frappent Beyrouth, un vol russe, Bamako, Tunis ; ou si des bombes françaises, russes ou américaines brisent des vies humaines en Syrie ou en Iraq, tout cela n’a pas les mêmes conséquences. Ces événements n’entrainent pas une manifestation généralisée de la part des internautes, pas de photo de profil Facebook couverte par le drapeau de ces pays, aucun monument public illuminé avec leurs couleurs[1]. Les gens qui meurent dans une ville comme Paris, sont qualifiés, cultivés, certains ont un futur passionnant devant eux. Rompre ces souffles fait mal : on a la sensation d’avoir perdu des trésors qui nous ressemblent ou qui sont portés au rang de modèle vers lequel il serait bon de tendre. Du coup leurs vies semblent valoir plus. Plus que les vies des gens pauvres, démunis, dont les futurs sont rendus incertains par les guerres subies depuis des décennies : leurs vies n’ont pas d’enjeux pour nous, ne nous intéressent pas. Ou, plus exactement, nous refusons de nous en inquiéter, tant nous pensons que nos soucis quotidiens – soient-ils grands ou petits – épuisent nos forces à s’engager pour des causes nous dépassant, et plus encore pour des causes dépassant nos frontières. Les désirs, la conscience, l’existence quotidienne de ces victimes, souvent humbles, ne peuvent pas nous inquiéter. Nous ignorons ou voulons ignorer, par ailleurs, que eux aussi peuvent être qualifiés, cultivés, porteurs de rêves et de désirs d’une vie meilleure. Et, qu’eux aussi peuvent être des modèles vers lesquels tendre. Il faudrait partir d’une réflexion sur ce point-là : la fraternité et l’égale valeur de toute vie, tout d’abord.

Nous sommes en guerre. Toutefois, il y a une certaine unanimité sur le fait que des avions qui lancent des bombes à l’aveugle ne servent pas à grand-chose[2], sauf si l’on bombardait les puits de pétrole et les routes qui connectent les villes contrôlées par Daech (choses que l’on ne commence à faire que depuis peu[3]). Par contre, les bombardements réussissent parfaitement à tuer des innocents et à faire gonfler les bénéfices des entreprises d’armements. Depuis le 11 septembre, le nombre des victimes du terrorisme a quintuplé[4]. 4.400 milliards de dollars ont été dépensés dans les guerres en Iraq, Afghanistan et dans d’autres zones du Moyen Orient. Pourtant le djihadisme n’a cessé de croître. En Afghanistan, frappé par les Etats-Unis après les attaques des Tours Jumelles, les Talibans contrôlent plus de territoires que ceux qu’ils contrôlaient avant 2011[5]. Le Global Terrorism Index[6] a montré que, dans le 80% des cas, le terrorisme a été neutralisé grâce à des solutions diplomatiques et à l’investissement dans la sécurité. Faire une trêve pour faire assoir tous les acteurs en jeu (même les pires) en Syrie, en Iraq et en Lybie autour d’une table paraît être la meilleure solution. Les bombardements ne semblent produire aucun effet important contre Daech. Ils génèrent des milliers de morts innocents et augmentent la rancune contre l’Occident dans les pays frappés. Il faudrait manifester pour arrêter toute guerre.

Les services de renseignement belges possédaient des informations sur la cellule qui a organisé les attaques du 13 novembre ; les services français avaient d’autres informations sur cette même cellule, et c’est probablement la raison pour laquelle la police de Paris était alarmée déjà une heure avant les attentats (des bus ont été déviés, un boulevard fermé…)[7]. Et bien, les services des deux pays n’ont pas échangé ces informations et 130 personnes sont mortes en vain. Si la procédure pour une intelligence européenne est longue et pour le moment rejetée par les États membres, il semble qu’une collaboration accrue, pas seulement entre la France et la Belgique, soit en train de se faire. Est-elle pourtant réelle ? Combien durera-t-elle ?

Les armes de Daech, celles que les combattants utilisent dans les pays du Moyen Orient aussi bien que celles utilisées par les terroristes en Europe, sont souvent produites dans des pays occidentaux. Pourquoi il n’y a pas un grand mouvement d’opinion pour demander l’arrêt de toute vente, de toute production d’armes ? Je parle des armes de guerre, non pas de celles des forces de l’ordre. Il faudrait aussi et surtout arrêter de faire des affaires avec les pays orientaux qui financent ou arment directement ou indirectement Daech (Arabie Saoudite, Qatar…)[8]. Il faudrait sanctionner économiquement les pays (par exemple la Turquie) qui achètent le pétrole bon marché de Daech (qui lui apporte 1 à 2 millions de dollars par jour[9]). De même il faudrait attaquer le marché noir des pièces archéologiques et des œuvres d’art, ainsi que le trafic de drogue qui passe par l’Afrique. Ne vous semble-t-il plus efficace et humanitaire d’affamer les terroristes, que de faire une guerre aérienne qui tue des civils[10] ?

Les terroristes souvent provenaient de situations économiques et culturelles défavorisées. Selon les sociologues, les terroristes sont nés dans les quartiers pauvres des banlieues parisiennes et bruxelloises, où le taux de chômage est élevé ; ils ont abandonné l’école tôt, puis ont viré vers la délinquance, pour enfin passer par la prison, où le processus de radicalisation a souvent précédé le processus d’islamisation (la religion étant peut-être un prétexte de Daech pour sacraliser ses intérêts surtout politiques, nationalistes et économiques)[11].

« Je n’ai pas de place dans ce pays », a dit un terroriste à son frère avant de partir en Syrie pour s’entraîner. C’est l’exclusion sociale avant tout qui favorise les recrutements d’apprentis-jihadistes ; le « vivier » est énorme pour Daech qui peut repérer ses recrues en Europe. Ce point est fondamental : si l’on oublie que la priorité, chez nous, ce sont des politiques d’intégration culturelle, démocratique, économique et sociale, il ne nous reste que les solutions des partis de droite ou d’extrême droite, à savoir les barrières et la discrimination. Par ailleurs, aucune des propositions de Hollande ne s’éloigne du cadre de la répression. Et depuis que le monde existe, les solutions répressives ne font qu’empirer les problèmes qu’elles veulent résoudre.

Dans les banlieues les plus démunies, il faut donc plus d’écoles, plus de bibliothèques, plus d’infrastructures, plus de centres culturels et divertissements, plus d’emplois, voire un revenu inconditionnel universel (qui éliminerait l’angoisse de pans entiers de la population et, en même temps, la criminalité micro et organisée[12] : la Finlande vient de le mettre en place[13]). Si les attentats justifient bien des solutions extrêmes, celles-ci devraient être moins l’état d’urgence que la mise en œuvre de mesures pour l’épanouissement culturel, social et économique de toutes les zones défavorisées de France et d’Europe. C’est avant tout une question de volonté politique, importe-t-il de marteler : les ressources existent, si l’on choisissait de réaliser une réelle redistribution de la richesse.

La géopolitique est le véritable enjeu et nous citoyens – souvent – ne sommes que des victimes potentielles, dans des jeux où on n’a pas de voix au chapitre, ni de connaissances profondes des acteurs et de leurs intérêts. La Syrie est un point stratégique pour le transport du pétrole et du gaz naturel de la Péninsule Arabe à la Méditerranée. L’accès à la mer y est direct, ce qui évite de faire le tour de la Péninsule et de payer le coûteux péage du Canal de Suez[14]. Certains analystes soutiennent que Hollande est en train d’attaquer la Syrie pour répondre aux droites qui avancent en France et pour pouvoir s’asseoir à la table des vainqueurs. Non seulement nos gouvernants nous mènent dans des guerres que nous ne voulons pas ; ils nous mènent à ces guerres du pétrole et du gaz, qui sont aussi la raison de nos problèmes climatiques ! Il est évident que sortir de la société fossile aurait le double avantage d’arrêter le réchauffement climatique et les guerres[15].

Parmi les nombreux articles d’opinion qui ont été écrits à la suite des attentats, deux types de réactions extrêmes existent. Certains préfèrent abandonner Paris, d’autres disent qu’il faut s’habituer à y vivre comme l’on vit en Palestine ou à Jérusalem. Je préfère m’aligner avec ceux qui, de façon provocatrice, voient dans cette tragédie une opportunité pour que les occidentaux, trop désintéressés par les faits politiques du monde, se réveillent et prennent en main leur destin. Nos choix politiques, y compris le choix du désintérêt, influencent le destin de nombreuses autres personnes, qui n’habitent pas forcément à l’intérieur de nos confins nationaux. Comment ne pas se sentir responsables pour eux ? L’angoisse à la suite des attentats devrait ainsi être le moteur propulseur pour un engagement politique généralisé.

Combien d’entre vous n’ont pas l’impression d’être de simples spectateurs impuissants des disputes armées d’oligarques inconséquents au mieux, criminels au pire ? Les gouvernants du globe ne vous semblent pas vivre encore au XIXème siècle, avec les intérêts, les discours et les méthodes typiques de cette époque-là ? Ils poursuivent des visées géopolitiques qui feraient rire, si elles ne produisaient pas des milliers de morts. Les attentats nous devraient avoir remis les pieds sur terre, sur cette même terre que nous partageons avec ces populations et ces oligarques que nous élisons ! Alors il est peut-être temps de faire l’expérience jusqu’au bout de cette fraternité avec les gens qui pâtissent un 13 novembre toutes les semaines. Il est temps que nous essayons faire quelque chose à cet égard, si nous voulons que des « boucheries » ne se répètent pas.

Je ne propose rien d’immédiat mais rien non plus d’impossible : en finir avec ce simulacre de démocratie qui sont les nôtres. L’on se surprend du taux d’abstention qui dans plusieurs pays atteint le 50%, voire plus des électeurs. Ce n’est pas un phénomène nouveau. Dans Le public et ses problèmes, le philosophe américain John Dewey lamentait déjà en 1927 que seulement un électeur sur deux profitait de son « droit majestueux » qui est le vote[16]. Il faudrait se demander si l’abstention ne soit pas un mal connaturel à la démocratie représentative, qui devrait plutôt être considérée comme une oligarchie, à savoir un « gouvernement politique où l’autorité souveraine est entre les mains d’un petit nombre de personnes ou d’une puissante famille »[17]. Il faudrait réfléchir sur la possibilité que l’individualisme et le désintérêt à la politique soient une conséquence, non la cause, du fait que, dans le système actuel, les citoyens ne comptent pas grand-chose.

Pour construire une démocratie participative – ce que nous devrions demander à voix haute –, il faut toutefois passer par des partis politiques qui prêchent pour cela, là où on a la chance d’en avoir. Ceci est un plaidoyer pour qu’on arrête de voter pour les mêmes fauteurs de guerre qui nous mènent à la catastrophe au nom du pétrole, de la croissance et de la domination ; pour qu’on s’engage dans toute manifestation ou association, politique et sociale, qui puisse aider à résoudre vraiment ces problèmes.

Conclusions. Arrêter les guerres, sortir de l’énergie fossile, redistribuer la richesse, encourager la conservation et la diffusion de la culture, ainsi qu’instaurer une démocratie participative, voilà les points qu’on devrait avoir à l’esprit comme utopie, c’est-à-dire comme idéal à suivre et à essayer de mettre en place. Voilà les points que les partis classiques de nos pays occidentaux ne semblent pas être disposés à réaliser. Ce n’est pas la peine de mobiliser les théories du complot pour cadrer et comprendre les derniers attentats de Paris (quoiqu’il y ait, de temps en temps, des éléments inquiétants[18]). Ce que l’on sait de l’action de nos gouvernements actuels ou récents suffit largement pour les juger comme des irresponsables, pour dire le moins[19]. Ils répondent à d’autres intérêts que ceux de leurs citoyens. S’engager dans des partis politiques avec les mains libres, voilà un acte conséquent.

[1] https://ericlluent.wordpress.com/2015/11/14/el-peligro-de-ponerse-la-foto-de-perfil-con-el-filtro-de-la-bandera-francesa/

[2] https://www.youtube.com/watch?v=CA3CZ56EDxs

[3] http://www.franceinfo.fr/actu/societe/article/syrie-le-drian-annonce-que-la-france-frappe-dimanche-un-centre-petrolier-du-groupe-daech-744313

[4] http://www.theguardian.com/uk-news/2014/nov/18/fivefold-increase-terrorism-fatalities-global-index

[5] https://francais.rt.com/international/8713-afghanistan-talibans-etats-unis-guerre

[6] http://economicsandpeace.org/wp-content/uploads/2015/11/Global-Terrorism-Index-2015.pdf

[7] http://www.ilfoglio.it/articoli/2015/11/14/il-terrore-colpisce-al-cuore-delleuropa___1-v-134994-rubriche_c176.htm

[8] http://www.elmundo.es/internacional/2014/06/24/53a99799e2704e13298b4584.html

[9] http://www.ilfattoquotidiano.it/2015/11/22/isis-due-miliardi-da-droga-riscatti-e-petrolio-ecco-come-si-finanzia-il-terrore/2242036/

[10] http://www.un.org/spanish/News/story.asp?newsID=34079#.Vnb_51K2qvo

[11] http://www.ilfattoquotidiano.it/2015/11/22/parigi-i-terroristi-reietti-che-puniscono-la-societa-usano-lislam-per-sacralizzare-il-loro-odio-i-prossimi-dalla-classe-media/2241487/

[12] http://revenudebase.info/wp-content/uploads/2012/07/Mylondo-Baptiste_precise-utopie-realiste.pdf

[13] http://revenudebase.info/2015/12/14/revenu-de-base-finlande-versions-experimentees-2017/

[14] https://www.youtube.com/watch?v=qjJtcesIXQE

[15] http://www.versobooks.com/books/1020-carbon-democracy

[16] http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Le-public-et-ses-problemes

[17] https://fr.wiktionary.org/wiki/oligarchie

[18] http://www.liberation.fr/france/2015/12/15/les-armes-chez-coulibaly-ont-elles-transite-par-un-ex-gros-bras-du-fn_1421020

[19] https://www.youtube.com/watch?v=Dqn0bm4E9yw

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