dimanche, juin 22 2025
Photo de J E Therlot : https://www.flickr.com/photos/jetheriot/2247737940/in/photostream/
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Le roman « Soie » (1996) de Alessandro Baricco, dans lequel le lecteur connait l’histoire du commerçant Hervé Joncour, est une invitation à mieux expérimenter les moments prosaïques de la vie.


 

Il y a des moments où l’on cherche désespéramment une histoire qui nous apporte des sentiments que l’’on croyait oubliés. On essaie alors de trouver un livre, un film ou même un conteur qui rende possible la satisfaction de cette envie. La tâche est certes dure et son accomplissement devient à chaque fois moins certain. Parfois, par contre, par des voies inattendues, ce sont les histoires elles-mêmes qui nous cherchent. C’est de telle façon que « Soie »[1], de l’écrivain italien Alessandro Baricco (1958 -), m’a trouvée pour réveiller mes émotions masquées.

La route qui a amené ce petit roman à moi a été atypique : sa lecture m’a été proposée comme un défi. Si l’histoire m’avait plu, je devrais convaincre un ami de sa qualité. Quelle n’a été donc ma surprise quand, contrairement à ce que j’attendais, la vie du protagoniste Hervé Joncour m’a fascinée dès la première page.

La délicatesse est un élément essentiel de cette narration. Normalement les chapitres sont très petits et les évènements se succèdent de la façon la plus simple possible, sans que le narrateur leur donne beaucoup d’importance. En fait c’est comme si le lecteur se trouvait devant une vie quelconque, c’est-à-dire devant une existence surtout prosaïque, où les faits sont ordinaires et dépourvus de cet atmosphère romantisée que l’on trouve souvent dans la littérature.

C’est dans ce quotidien du protagoniste que le lecteur plus attentif peut trouver des moments poétiques. Comme dans ce passage, quand Hervé Joncour est en train de raconter son histoire à Hare Kei – l’homme le plus imprenable du Japon – et à une jeune fille aux yeux fermés qui va fasciner le protagoniste  :

Dans la pièce, tout était tellement silencieux et immobile que ce qui arriva soudain parut un événement immense, et pourtant ce n’était rien.

Tout à coup,

sans bouger le moins du monde,

cette jeune fille

ouvrit les yeux.[2]

Par son style léger, le récit nous pousse à voir – et surtout à reconnaitre – la beauté résultante des faits qui constituent majoritairement notre vie. L’écrivain turinois y aborde aussi la répétition constitutive de notre existence. On accompagne plusieurs fois les voyages faits par le protagoniste, quand il achète les vers de soie qu’il vend en France. Les trajets d’allé et de retour sont toujours les mêmes, le narrateur n’en modifiant même pas les mots.

Et qu’est-ce qu’on pourrait dire du protagoniste, selon qui l’Afrique n’est que « fatiguée » et le Japon, « invisible » ? Lui aussi, il semble ratifier « cette ambiance du néant », en se refusant, dans la plupart de l’histoire, de raconter ses voyages. C’est grâce à ces dernières, pourtant, qu’il arrive à se transformer et à se connaître. De plus, les expériences vécues pendant ses expéditions sont tellement intenses que, même s’il ne les raconte pas, il a besoin de se reposer pendant le reste de l’année.

L’auteur italien n’aurait pu mieux choisir le métier de son héros, vu que la légèreté, la fragilité et la presque inexistence de la soie se confondent avec la personnalité de Hervé Joncour. Mais elles ne concernent pas seulement le protagoniste, mais le roman entier. Sa longueur ne pourrait pas non plus être une autre. Si l’auteur avait ajouté trop de détails et de réflexions, l’histoire deviendrait trop lourde et, par conséquent, incohérente.

Dans ce petit roman, Baricco nous présente une histoire sans triomphes, sans basculements, sans coups de foudre. La narration ne conquiert pas par sa magnificence, mais par la beauté subtile des moments prosaïques. A la fin de la lecture, on est envahi par un sentiment d’apaisement. Comme dans le cas de la meilleure soie japonaise, en lisant ce livre, on a la remarquable impression de ne rien tenir entre nos doigts.

Nádia Gonfiantini

[1] Nous ferons référence, dans cet article, à la traduction française, publiée chez Gallimard, en 2014.

Pour le texte original : Seta, Ed. Rizzoli, 1996.

Pour la traduction en brésilien : Seda, Ed. Companhia das letras, 2007.

[2] BARICCO, Alessandro, Soie… p. 35-36.

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About Author

Nádia Gonfiantini

Having an interest in languages, literature and education, Nádia Gonfiantini is a very passionate Portuguese teacher. She graduated in Languages and Literature by the University of São Paulo, where she had the opportunity to learn about Italian culture, in which she decided to specialize. Her Master’s 1st year essay, at Sorbonne Nouvelle University, focused on the representation of sorrowful childhood in Giovanni Verga and Italo Calvino’s works.

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